L’article 425 du code civil dispose que lorsqu’une personne est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou corporelles, elle peut bénéficier d’une mesure de protection juridique.
On pense souvent aux mesures de protection judiciaire : tutelle, curatelle renforcée, curatelle aménagée, curatelle simple. Toutefois, il est également possible de recourir aux mesures de protection non-judiciaire : le mandat de protection future ou l’habilitation familiale.
La mesure d’habilitation familiale est en effet une mesure très flexible et souple. Elle permet à un ou plusieurs proches (parent, enfant, grand-parent, frère, sœur, époux, concubin, partenaire de Pacs) de représenter ou d’assister la personne vulnérable pour assurer la sauvegarde de ses intérêts. En revanche, elle ne peut être ouverte par le juge des tutelles que si l’ensemble des proches visées ci-dessus y adhère ou ne s’y oppose pas pour une raison légitime.
Lorsqu’une mesure d’habilitation familiale de représentation générale est ouverte, elle comporte généralement les mêmes effets qu’une mesure de tutelle : la personne habilitée peut représenter le majeur protégé dans la réalisation des principaux actes, qu’ils soient administratifs, financiers ou personnels.
Dans ce cadre, la personne habilitée peut parfois souhaiter réaliser une donation au nom du majeur protégé. Par exemple, de la part du majeur protégé à ses enfants ou à ses petits-enfants. Pour rappel, la donation est le fait de remettre gratuitement un bien à une autre personne (article 894 du code civil). Il y a donc deux parties : le donateur (qui donne le bien) et le donataire (qui reçoit le bien).
Puisque les majeurs protégés bénéficient de dispositions protectrices, notamment pour la protection de leur patrimoine, il convient ici de faire le point sur les possibilités qu’ils ont de réaliser des donations par l’intermédiaire des personnes habilitées.
1/ L’obligation d’être sain d’esprit pour effectuer une donation
L’article 901 du code civil exige que le donateur (la personne qui donne le bien) soit sain d’esprit, c’est-à-dire qu’elle ne souffre pas d’affection physique ou mentale altérant son jugement ou sa faculté de discernement (Cass. 2ème civ., 5 juill. 2006, n° 05-13885).
De prime abord, la donation par un majeur protégé semble donc exclue puisque, par définition, celui-ci présente une altération de ses facultés mentales ou corporelles.
2/ Les dispositions sur l’habilitation familiale permettent toutefois d’effectuer des actes à titre gratuit
Dans les dispositions spécifiques à l’habilitation familiale, l’article 494-6 du code civil permet à la personne qui est habilitée à assister ou représenter le majeur protégé d’effectuer un acte de disposition à titre gratuit – comme une donation – avec l’autorisation du juge des tutelles.
En effet, cet article dispose que : « La personne habilitée ne peut accomplir en représentation un acte de disposition à titre gratuit qu’avec l’autorisation du juge des tutelles ».
À la lecture de cet article, il semble donc possible de demander au juge des tutelles d’autorisation une donation.
3/ La Cour de cassation a finalement indiqué qu’il était possible de réaliser une donation dans le cadre d’une habilitation familiale
En 2021, la Cour de cassation (le tribunal qui est au sommet de la hiérarchie des tribunaux judiciaires et qui est donc le plus influent) a finalement répondu à cette question de savoir s’il était possible d’autoriser la personne habilitée à consentir à une donation au nom du majeur protégé.
La Cour de cassation a indiqué que cela était possible, en précisant la marche à suivre : « Dans cette hypothèse, il incombe par conséquent au juge des contentieux de la protection, de s’assurer, d’abord, au vu de l’ensemble des circonstances, passées comme présentes, entourant un tel acte, que, dans son objet comme dans sa destination, la donation correspond à ce qu’aurait voulu la personne protégée si elle avait été capable d’y consentir elle-même, ensuite, que cette libéralité est conforme à ses intérêts personnels et patrimoniaux, en particulier que sont préservés les moyens lui permettant de maintenir son niveau de vie et de faire face aux conséquences de sa vulnérabilité ».
Référence de la décision de la Cour de cassation : Civ. 1ère, avis, 15 déc. 2021, n° 21-70.022.
4/ Les conditions spécifiques à l’habilitation familiale à respecter
Nous avons déjà précisé que l’article 494-6 du code civil exigeait de la personne habilitée à assister ou représenter le majeur protégé d’obtenir l’autorisation du juge des tutelles pour effectuer un acte de disposition à titre gratuit (par exemple une donation).
La Cour de cassation a indiqué deux conditions supplémentaires qu’il convient de respecter :
- La donation doit correspondre à ce qu’aurait voulu le majeur protégé si elle avait été saine d’esprit ;
- La donation est conforme à ses intérêts : il faut notamment que le majeur protégé conserve les moyens suffisants pour maintenir son niveau de vie et pouvoir faire face à l’imprévu ou à l’aggravation de son état de santé.
5/ Le cas spécifique de la donation au bénéfice de la personne habilitée
L’article 494-6 du code civil dispose que « La personne habilitée dans le cadre d’une habilitation générale ne peut accomplir un acte pour lequel elle serait en opposition d’intérêts avec la personne protégée ».
Cela signifie que si la personne habilitée souhaite réaliser une donation au nom du majeur protégé en sa faveur, elle ne peut pas le faire. En principe, il n’est donc pas possible de réaliser une donation de la part du majeur protégé pour la personne habilitée.
Cependant, ce même article dispose que : (…) « à titre exceptionnel et lorsque l’intérêt de celle-ci l’impose, le juge peut autoriser la personne habilitée à accomplir cet acte ».
Ainsi, le juge peut autoriser la personne habilitée (c’est-à-dire celle qui est en charge d’assister ou de représenter le majeur protégé) à réaliser la donation, même si elle est en opposition d’intérêts avec la personne habilitée.
L’article 909 du code civil prévoit également l’hypothèse de la donation rémunératoire : il s’agit d’une donation du majeur protégé au bénéfice de la personne habilitée pour toutes les fois où l’exercice de sa mission dépasse la mesure de la piété familiale ou celle du devoir d’assistance (par exemple, des enfants envers les parents).
6/ Les autres points de vigilance en matière de donations
Il existe de nombreuses dispositions relatives aux donations, qui doivent être impérativement respectées.
Par exemple, l’article 909 du code civil prévoit que les personnes travaillant dans le secteur médical (professions médicales, pharmaciens, auxiliaires médicaux) ne peuvent bénéficier d’une donation faite par une personne qu’ils ont soignées. C’est également le cas pour les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) au sujet des majeurs protégés qu’ils ont assistés ou représentés.
Attention : On ne vise ici que les MJPM. Cette disposition ne s’applique aux curateurs et tuteurs familiaux (Cass. 1re civ., 17 oct. 2018, n° 16-24.331).
Il existe de nombreuses autres dispositions à respecter, par exemple s’agissant du montant maximum de la donation entre vifs (article 913 du code civil) et de l’obligation de recourir à un notaire (article 931 du code civil).
Nous pensons également aux dispositions pénales, notamment relatives à l’abus de faiblesse, mais c’est là une autre affaire.
Yann-Mickaël Serezo
Avocat en droit des majeurs protégés (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.)