Droit des majeurs protégésProtéger une personne vulnérable : Tout savoir sur l’habilitation familiale

6 décembre 2023

Il existe plusieurs manières de protéger une personne qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté ou de réaliser et comprendre les actes de la vie courante.

Les mesures les plus classiques sont les mesures judiciaires :

Cependant, il existe aussi des mesures non judiciaires, et notamment l’habilitation familiale. Cette mesure, assez peu connue, se distingue par sa flexibilité et son efficacité.

En effet, l’habilitation familiale permet à un proche (parent, enfant, grand-parent, frère, sœur, époux, partenaire de Pacs, concubin) d’assister ou de représenter le majeur à protéger.

L’habilitation familiale est ordonnée par le juge uniquement en cas de nécessité, lorsque les représentations habituelles (procuration, mandat de protection future, régime matrimonial, par exemple) ne permettent pas suffisamment de protéger les intérêts de la personne.

A la différence de la sauvegarde de justice, de la curatelle ou de la tutelle, une fois l’habilitation familiale délivrée, il n’y a généralement plus de contrôle opéré par le juge. En contrepartie de cette flexibilité et de cette absence de contrôle, il est toutefois nécessaire qu’il existe un consensus au sein du cocon familial : tous les membres de la famille doivent être d’accords pour l’ouverture de cette mesure et pour la désignation de la personne habilitée. À ce titre, nous mettons à disposition sur notre site internet un modèle gratuit de lettre d’acception de la mesure d’habilitation familiale (voir ici).

 

I – Sur les personnes concernées par l’habilitation familiale

 

L’habilitation familiale peut protéger toute personne qui est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté.

L’article 494-1 du code civil précise les proches pouvant être habilités : les parents, les grands-parents, les arrière-grands-parents, les enfants, les petit-enfants, les arrières petit-enfants, les frères et sœurs, l’époux ou l’épouse, le partenaire de PACS, le concubin ou la concubine.

En revanche, les proches suivants ne peuvent pas être habilités : les neveux et nièces, les beaux-frères et belles-sœurs, les gendres et belles-filles.

Plusieurs personnes d’une même famille peuvent être habilitées. On parle alors de « personnes co-habilitées ».

Leurs missions peuvent éventuellement être scindées par le juge des tutelles : par exemple, certaines personnes pourront être habilitées concernant les décisions personnelles, tandis que d’autres pourront être habilitées concernant les décisions patrimoniales.

Il faut toutefois noter que les personnes habilitées exercent leurs missions à titre gratuit.

 

II – Sur la procédure de mise en place de l’habilitation familiale

 

A – Sur l’auteur de la demande

L’article 494-3 du code civil dispose que la demande aux fins de désignation d’une personne habilitée peut être faite par :

  • La personne qui s’estime vulnérable et qui souhaite être protégée ;
  • Les proches de la personne vulnérable qui peuvent être habilités ;
  • Le Procureur de la République, dans certaines circonstances.

 

B – Sur les étapes pour la mise en de place de l’habilitation familiale

La procédure d’ouverture de l’habilitation familiale se déroule en plusieurs temps.

D’abord, il faut adresser la demande au juge des contentieux de la protection compétent dans le ressort du domicile de la personne à protéger, en y joignant les pièces suivantes :

  • La demande (le CERFA n°15891 peut être utilisé) ;
  • Le certificat médical circonstancié, à obtenir auprès d’un médecin habilité par le Procureur de la République (et dont la liste est disponible auprès du Tribunal compétent) ;
  • La copie intégrale de l’acte de naissance de la personne à protéger ;
  • La copie d’un justificatif d’identité de la personne à protéger ;
  • La copie d’un justificatif d’identité de la personne qui demande l’habilitation familiale ;

Attention : Selon la situation, d’autres pièces doivent également être jointes (contrat de mariage, convention de PACS, copie du livret de famille, lettre d’acceptation des membres de la famille, etc.).

Ensuite, le juge va instruire la demande : il examine la requête, identifie les intérêts patrimoniaux de la personne à protéger (immobilier, épargne, actions, etc.) et auditionne les personnes intéressées. Il s’agit notamment de la personne à protéger (sauf exception liée à sa santé ou à sa capacité de s’exprimer) et de ses proches, dont il doit recueillir l’adhésion conformément à l’article 494-4 du code civil.

Enfin, le juge prend sa décision : il se prononce sur la nécessité ou non de l’habilitation et, le cas échéant, sur l’identité de la ou des personnes habilitées ainsi que l’étendue et la durée de la mission d’habilitation.

Il indique notamment si la mission est de représentation ou d’assistance.

Attention : Le juge peut estimer que la mesure d’habilitation familiale n’est pas adaptée, par exemple en raison d’un conflit familial, et ouvrir alors une mesure de protection judiciaire (curatelle, tutelle, etc.).

 

III – Quelles sont les effets de l’habilitation familiale ?

A – S’agissant de l’habilitation générale

 

Conformément à l’article 494-6 du code civil, le juge peut décider que l’habilitation familiale soit générale. Dans ce cas, la personne habilitée est dotée de pouvoirs très étendus : il représente le majeur protégé, agit en son nom et peut donc accomplir tout acte.

Il peut par exemple conclure un bail d’habitation, ouvrir un compte de dépôt, vendre un appartement, conclure un emprunt, effectuer une donation, etc.

Attention : Certains actes nécessitent toutefois l’autorisation du juge des tutelles. La personne habilitée ne peut. notamment pas accomplir un acte pour lequel ses intérêts sont opposés à ceux de la personne protégée sans autorisation du juge des tutelles.

 

B – S’agissant de l’habilitation limitée à un ou plusieurs actes

Lorsque l’état de santé de la personne protégée le justifie, l’habilitation peut ne porter que sur certains actes.

Par exemple, l’habilitation familiale peut ne porter que sur :

  • Des actes de gestion courante (conclure un bail d’habitation, ouvrir un compte de dépôt, etc.) ;
  • Des actes de disposition des biens (vendre un appartement, conclure un emprunt, faire une donation, etc.) ;
  • Des actes personnels (réaliser une opération médicale, etc.).

 

C – Sur les actes importants

Parce qu’ils revêtent des conséquences considérables sur la personne protégée, certains actes doivent toujours être autorisés par le juge, et notamment :

  • Les actes de disposition à titre gratuit ;
  • Les décisions relatives au logement de la personne protégée ;
  • Les décisions à prendre lorsqu’il existe un conflit d’intérêt entre la personne protégée et la personne habilitée ;
  • Les actes portant gravement atteinte à l’intimité de la vie privée.

Par ailleurs, l’article 494-6 du code civil prévoit que certains actes sont également interdits. Si ces actes sont passés en méconnaissance de cette interdiction, l’article 494-9 du code civil dispose qu’ils sont nuls sans qu’un préjudice soit à prouver.

Ainsi, la personne habilitée ne peut notamment pas :

  • Acquérir ou louer à titre personnel des biens appartenant à la personne protégée ;
  • Réaliser des opérations commerciales, en son nom, à partir des biens de la personne protégée ;
  • Renoncer à un droit en viager de la personne protégée ou sa cession ;
  • Souscrire un contrat d’assurance en cas de décès ;
  • Souscrire un acte de caution qui engage la personne protégée.

S’agissant de la personne protégée, elle ne peut pas :

  • Rédiger un mandat de protection future pour soi-même ou pour quelqu’un d’autre ;
  • Établir, sur ses comptes bancaires, une procuration pour une autre personne ;
  • Conclure seule des actes de disposition ou d’administration.

 

Yann-Mickaël Serezo
Avocat en droit des majeurs protégés (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.)