Droit des majeurs protégésAnticiper son besoin de protection : le mandat de protection future

16 janvier 2024

Lorsqu’une personne souffre d’une altération de ses facultés l’empêchant d’exprimer sa volonté, des mesures de protection peuvent être mises en place. On pense d’abord aux mesures judiciaires :

Cependant, il existe aussi des mesures non judiciaires, c’est-à-dire des mesures dans lesquelles l’intervention du juge des tutelles est limitée. Il s’agit de l’habilitation familiale et du mandat de protection future.

Le mandat de protection future est toutefois un peu différent des autres mesures. En effet, il permet à une personne – encore en mesure d’exprimer son consentement – d’anticiper l’organisation de sa vie et de son patrimoine dans le cas où ses facultés mentales ou physiques seraient altérées.

Le mandat permet ainsi de désigner à l’avance une ou plusieurs personnes (le ou les « mandataires ») pour représenter le mandant s’il devient incapable de gérer ses intérêts.

 

Il s’agit donc d’organiser en avance sa propre protection et parfois, d’éviter la rigueur et les contraintes des mesures de protection judiciaire (tutelle, curatelle renforcée, curatelle aménagée, curatelle simple). L’article 428 du code civil consacre en effet la primauté du mandat de protection future sur les mesures de protection judiciaire.

 

I – Généralités sur le mandat de protection future

 

A – L’objet du mandat de protection future

L’article 477 du code civil dispose que toute personne majeure peut charger une ou plusieurs personnes de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts.

Le mandat de protection future est donc un contrat entre le mandant et le mandataire au terme duquel le second viendra en aide au premier si et seulement si cela devient nécessaire.

Le principe de liberté contractuelle s’applique et le mandant est donc libre de prévoir les dispositions qu’il souhaite. Ainsi, l’objet du mandat peut porter :

  • Sur l’assistance dans la vie personnelle du mandant ;
  • Sur la gestion de tout ou partie du patrimoine du mandant ;
  • Sur les deux (éventuellement avec plusieurs mandataires chargés de missions séparées).

Dans ce cadre, le mandant choisit l’étendue des pouvoirs du mandataire et peut indiquer ses souhaits. Par exemple :

  • S’agissant de ses conditions d’hébergement ;
  • S’agissant de ses loisirs (vacances, fréquentations, activités, visites, etc.) ;
  • S’agissant des actes médicaux importants.

 

B – La forme du mandat de protection future

Le mandat est un contrat qui peut être soit notarié (présence du notaire) soit conclu sous seing privé (sans présence d’un notaire). Ce choix a des conséquences sur l’étendue des actes pouvant être effectués par le mandataire.

Ainsi, avec un mandat conclu sous seing privé :

  • Le mandat doit soit être contresigné par un avocat soit être conforme au CERFA n° 13592 et enregistré au service des impôts des particuliers.
  • La gestion des biens se limite aux actes d’administration, c’est-à-dire les actes de gestion courante du patrimoine du mandant (par exemple, renouveler un bail d’habitation).
  • Les actes de disposition (c’est-à-dire, les actes qui engagent sensiblement le patrimoine d’une personne, comme la vente d’un bien immobilier par exemple) nécessitent l’autorisation du juge des tutelles.

À contrario, avec un mandat notarié :

  • Le mandat est établi par acte authentique.
  • Le mandataire peut être autorisé à procéder seul à des actes de disposition à titre onéreux (par exemple, vendre un bien immobilier).
  • Le mandataire rend compte au notaire du mandant et lui remet notamment l’inventaire des biens et le compte annuel.
  • Le notaire pourra signaler au juge des tutelles tout acte pris par le mandataire pouvant être contraire aux intérêts du mandant.

 

II – Sur les personnes concernées par le mandat de protection future

 

A – L’identité du mandant

En principe, toute personne majeure ou mineure émancipée peut établir un mandat de protection future à son profit.

L’article 477 du code civil prévoit toutefois des exceptions et tempéraments pour les majeurs protégés :

  • Les personnes faisant l’objet d’une mesure de tutelle ne peuvent pas conclure de mandat de protection future.
  • Les personnes faisant l’objet d’une habilitation familiale ne peuvent pas conclure de mandat de protection future.
  • Les personnes protégées par une mesure de curatelle peuvent conclure un mandat de protection future uniquement avec l’assistance de leur curateur.

 

B – L’identité du mandataire

Conformément à l’article 480 du code civil, le mandataire peut être :

  • Soit une personne physique (par exemple, un membre de sa famille, un ami, un professionnel) choisie par la personne à protéger ;
  • Soit une personne morale inscrite sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

Il existe certaines incompatibilités. Par exemple :

  • Les membres des professions médicales et de la pharmacie et les auxiliaires médicaux ne peuvent exercer une charge curatélaire ou tutélaire à l’égard de leurs patients.
  • Le fiduciaire désigné par le contrat de fiducie ne peut exercer une charge curatélaire ou tutélaire à l’égard du constituant.

Par ailleurs, le mandataire doit avoir la capacité juridique pendant toute l’exécution du mandat (article 480 du code civil).

 

III – L’activation du mandat de protection future

 

A – Le moment de l’activation du mandat de protection future

L’article 481 du code civil dispose que « le mandat prend effet lorsqu’il est établi que le mandant ne peut plus pourvoir seul à ses intérêts ».

Ainsi, pour activer le mandat de protection future, le mandataire qui constate que l’état de santé du mandant ne lui permet plus de prendre soin de sa personne ou de s’occuper de ses affaires doit entreprendre les démarches suivantes :

  1. Faire constater l’état de santé du mandant par un médecin inscrit sur la liste de médecins établie par le procureur de la République visée à l’article 431 du code civil, qui établira le cas échéant un certificat médical ;
  2. Transmettre au greffe du tribunal compétent le mandat, ledit certificat médical et d’autres pièces complémentaires (copie d’un titre d’identité du mandataire, copie d’un titre d’identité du mandant, justificatif de domicile du mandant).

Le greffier vise le mandat (c’est-à-dire qu’il le vérifie) et date sa prise d’effet : le mandat est alors activé.

 

B – Les obligations du mandataire dans le cadre du mandat de protection future

Le mandataire est soumis à plusieurs obligations. Il doit :

  • Dresser un inventaire du patrimoine du mandant ;
  • Établir chaque année le compte de sa gestion et le présenter au juge des tutelles ;
  • Tenir à disposition du juge l’inventaire et les 5 derniers comptes de gestion ;
  • Exécuter personnellement le mandat, conformément à l’article 482 du code civil (mais il peut faire appel à des tiers pour les actes de gestion du patrimoine).

S’agissant du contrôle de l’exécution du mandat, toute personne peut saisir le juge afin de (i) contester la mise en œuvre du mandat, (ii) contester l’exécution du mandat ou (iii) demander que le mandant soit davantage protégé, notamment dans le cadre d’une mesure de protection judiciaire (tutelle ou curatelles). Le mandant peut aussi désigner une ou plusieurs personnes chargées de surveiller les actes du mandataire.

En cas de mauvaise exécution ou de faute, le mandat peut être révoqué et le mandataire peut être condamné à indemniser le mandant.

Le rôle du mandataire est donc absolument crucial dans le cadre de l’activation et de l’exécution du mandat de protection future : en cas de défaillance, il pourra être mis fin au mandat et une mesure de protection plus rigide pourrait être ouverte (tutelle ou curatelles).

 

IV – La modification et la fin du mandat de protection future

 

A – La modification du mandat de protection future non activé

Tant que le mandat n’est pas activé, le mandant peut le modifier ou le révoquer (article 489 et article 492 du code civil). De la même manière, le mandataire peut renoncer au bénéfice du mandat.

Notons ici une jurisprudence intéressante accordant la primauté à un mandat de protection future non activé : le juge des tutelles, qui a prononcé l’ouverture d’une curatelle à l’égard d’un mandant dont le mandat est finalement activé quelques mois plus tard, met fin à cette même curatelle et y substitue le mandat (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 4 janvier 2017, n° 15-28.669).

En revanche, dès que le mandat de protection future prend effet, il faut s’adresser au juge des tutelles pour le modifier ou y mettre fin.

 

B – La fin du mandat de protection future activé

Conformément à l’article 483 du code civil, le mandat de protection future activé prend fin dans les situations suivantes :

  • Le mandant se rétablit (il retrouve ses facultés) ;
  • Le mandataire ou le mandant est placé en curatelle ou en tutelle ;
  • Le mandataire ou le mandant décède ;
  • Le juge des tutelles révoque le mandat.

Une fois activé, le mandant ne peut plus le révoquer. Il peut seulement contester sa mise en œuvre ou ses conditions d’exécution devant le juge des tutelles.

Ainsi, lors de la conclusion du mandat de protection future, il convient donc d’être particulièrement vigilant sur l’identité des mandataires, le périmètre de leur mission et les mécanismes de contrôle.

En effet, si le mandat de protection future est parfois conclu pour éviter un recours ultérieur aux mesures de protection judiciaire (curatelle, tutelle, etc.), des difficultés rencontrées en cours d’exécution du mandat peuvent inciter le juge à le révoquer et à finalement ouvrir une mesure de protection judiciaire.

Dans une affaire dans laquelle il existait un important conflit familial, la Cour d’appel de Paris a indiqué que l’exécution du mandat de protection future était de nature à porter atteinte aux intérêts du majeur vulnérable (« notamment à sa sérénité ») et l’a donc placé sous tutelle (Pôle 3, 1er février 2022, RG n° 20/15379).

En l’état du droit positif, la primauté du mandat de protection future sur les mesures de protection judiciaire est donc toute relative : pour le juge des tutelles, c’est l’intérêt de la personne protégée qui prime sur le reste.

 

Yann-Mickaël Serezo
Avocat en droit des majeurs protégés