Droit des majeurs protégésTutelle et curatelle : obtenir le certificat médical circonstancié

19 janvier 2024

Lorsqu’une mesure de protection judiciaire semble nécessaire pour un majeur vulnérable, le juge des tutelles peut être saisi d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle renforcée, curatelle aménagée, curatelle simple).

Cependant, la transmission d’une telle requête obéit à un formalisme principalement dicté par le code civil et le code de procédure civile.

La production d’un certificat médical circonstancié constitue l’une des principales conditions, tant de recevabilité que de fond. En effet, en l’absence d’un tel certificat, la requête est irrecevable.

Cette sanction se comprend : l’ouverture d’une mesure de protection juridique constitue une sérieuse atteinte aux droits et libertés du majeur protégé.

Toutefois, il arrive fréquemment qu’un majeur effectivement vulnérable refuse tout simplement d’être examiné par un médecin, soit en raison de troubles mentaux ou psychiques, soit par peur de faire l’objet d’une mesure de protection, soit dans le cadre de conflits familiaux.

 

Que faire alors pour contourner cette difficulté ?

 

I – Le principe clair de l’exigence d’un certificat médical circonstancié

 

A – Les nouvelles dispositions du code civil et du code de procédure civile

 

Les dispositions applicables aux majeurs vulnérables ont notamment été réformées par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007. Auparavant, pouvait faire l’objet d’une mesure de protection toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison de facultés personnelles altérées mais également toute personne risquant de tomber dans le besoin ou de compromettre l’exécution de ses obligations familiales en raison de sa prodigalité, de son intempérance ou de son oisiveté.

Aujourd’hui, les cas d’ouverture des mesures de protection juridique sont plus restreints : elles ne peuvent désormais être ouvertes qu’au bénéfice des personnes dont les facultés mentales ou corporelles, altérées, les empêchent d’exprimer leur volonté (article 425 du code civil). Il est en outre exigé que l’altération desdites facultés soient « médicalement constatée ».

Plus précisément, l’article 431 du code civil exige que la requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire soit accompagnée d’un certificat circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République. Ainsi, en l’absence d’un tel certificat médical circonstancié, le juge des tutelles rejettera la requête comme étant irrecevable.

De la même manière, lorsqu’une mesure de protection est déjà ouverte mais qu’elle est considérée comme insuffisante, le juge ne pourra aggraver la mesure que si la requête en aggravation est accompagnée d’un tel certificat médical circonstancié établi à cette fin (article 442 du code civil).

L’article 1219 du code de procédure civile précise le contenu du certificat médical circonstancié : description et évolution prévisible de l’altération des facultés, conséquences de cette altération sur la nécessité d’une assistance ou d’une représentation du majeur dans les actes de la vie civile, possibilité ou non d’entendre le majeur.

 

B – La position conforme de la jurisprudence

 

La jurisprudence a rapidement appliqué cette exigence de production d’un certificat médical circonstancié :  en 2011, la Cour de cassation a ainsi censuré une décision d’un juge des tutelles déclarant recevable une requête du procureur de la République aux fins d’ouverture d’une mesure de protection qui ne comprenait pas de certificat médical circonstancié, mais seulement un courrier du médecin indiquant que la personne vulnérable refusait d’être examinée (Cass. Civ. 1ère, 29 juin 2011, n° 10-21.879).

Dans le cadre d’une requête en aggravation d’une mesure de curatelle simple en curatelle renforcée, la Cour de cassation a confirmé cette position. Elle a en effet censuré un arrêt de cour d’appel qui n’avait pas rejeté comme irrecevable une requête en aggravation qui n’était pas accompagnée d’un certificat médical circonstancié établi à cette fin (Cass. Civ. 1ère, 2 mars 2022, n° 20-19.767).

La solution de principe est donc claire : pour protéger les libertés individuelles, aucune mesure de protection juridique ne peut être ouverte ou aggravée en l’absence d’un certificat médical circonstancié établi à cette fin.

En pratique : Il convient donc de prendre rendez-vous avec un médecin inscrit sur la liste du procureur de la République (voir ici la liste 2023 pour Paris) qui rédigera le certificat médical circonstancié et le remettra au requérant sous pli cacheté, à l’attention du juge des tutelles. Il arrive cependant qu’un majeur vulnérable refuse tout bonnement de se faire examiner. Dans cette hypothèse, fréquente, comment faire ?

 

II – En pratique, les solutions au refus du majeur à protéger de faire l’objet d’une expertise médicale

 

A – Le certificat médical circonstancié sur pièces

 

Afin de ne pas empêcher toute protection juridique de majeurs vulnérables qui refuseraient de faire l’objet d’une expertise médicale, la Cour de cassation a légèrement infléchi sa position, en jugeant que « le certificat médical circonstancié peut être établi sur pièces médicales, en cas de carence de l’intéressé » (Cass. Civ. 1ère, 20 avril 2017, n° 16-17.672).

En d’autres termes, si et seulement si la personne à protéger ne répond pas aux sollicitations du médecin, le certificat médical circonstancié pourra alors être établi sans la rencontrer. Il conviendra toutefois de fournir suffisamment de pièces médicales afin de permettre au médecin de conclure à la nécessité – ou non – d’une mesure de protection.

Il pourra par exemple s’agir de certificats un peu plus anciens d’autres médecins (médecin traitant, psychiatre, gériatre, etc.) et de comptes-rendus d’hospitalisation. D’autres pièces pourront être transmises, comme des photos du logement de la personne vulnérable (par exemple si la personne est atteinte du syndrome de Diogène), des courriers indiquant des impayés, des attestations de proches ou d’auxiliaires de vie, etc.

Le médecin qui rédige un tel certificat médical circonstancié sur pièces doit toutefois être vigilant : la carence du majeur à protéger doit être caractérisée, sous peine de risquer des sanctions disciplinaires (voir notamment : CA Grenoble, 5 juin 2020, n° 20/00415).

En pratique : Cette solution peut toutefois se révéler difficile lorsque l’auteur de la requête n’est pas en possession de pièces médicales à fournir au médecin. Il convient alors de se diriger vers d’autres solutions.

 

B – Le signalement au procureur de la République

 

Le procureur de la République peut être sollicité pour demander au juge des tutelles l’ouverture d’une mesure de protection juridique. L’article 430 du code civil dispose en effet que la demande d’ouverture d’une mesure « peut être également présentée par le procureur de la République soit d’office, soit à la demande d’un tiers ».

Ainsi, des tiers (conjoint, parent, enfant, ami, acteurs médico-sociaux, etc.) peuvent contacter le procureur de la République en lui indiquant qu’une personne doit être protégée. On parle alors de signalement, qu’il convient d’adresser en recommandé avec accusé de réception.

Attention : La demande présentée au procureur aux fins de saisine du juge des tutelles doit contenir certaines informations spécifiques (identité de la personne, description des faits justifiant le besoin de protection, de l’environnement social et du contexte familial, du patrimoine et du budget de la personne, de son niveau d’autonomie, etc.) (articles 1216-1 et 1216-2 du code de procédure civile).

En l’absence de certificat médical circonstancié, ce signalement peut se révéler extrêmement utile car le procureur pourra réquisitionner un médecin qui sera chargé d’examiner le majeur vulnérable et de rédiger un certificat médical circonstancié (article 1212 du code de procédure civile).

En pratique : Le médecin désigné par le procureur tente de joindre le majeur par divers moyens (courrier, mail, déplacement à domicile). Son mandat judiciaire, son expérience et l’éventuelle intervention des proches suffisent généralement à convaincre le majeur vulnérable de se soumettre à l’examen médical. En dernier recours, le concours de la force publique peut être sollicité.

 

C – L’intermédiation des acteurs médico-sociaux

 

Lorsqu’un proche n’est pas en mesure d’obtenir le certificat médical circonstancié requis pour introduire une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection d’un majeur vulnérable, il est aussi possible de se tourner vers des acteurs médico-sociaux (corps médical, travailleurs sociaux, etc.). En effet, alertés sur la situation de vulnérabilité d’une personne, ces acteurs pourront tenter d’intervenir pour faciliter l’organisation d’une expertise médicale.

D’abord, leur position d’aidants et leur expérience leur permettent parfois de convaincre le majeur à protéger d’accepter de consulter un médecin.

Ensuite, certains acteurs médico-sociaux (et notamment certains mandataires judiciaires à la protection des majeurs) organisent des médiations familiales afin de renouer le dialogue, de gérer des situations conflictuelles et de trouver des solutions. Ces médiations peuvent être l’occasion de parvenir à faire prendre conscience à la personne vulnérable et/ou à son entourage de la nécessité de faire l’objet d’une expertise médicale et, le cas échéant, d’être protégée juridiquement.

Enfin, comme indiqué ci-dessus, certains acteurs médico-sociaux peuvent aussi être à l’origine d’un signalement au procureur de la République. C’est notamment le cas des établissements hospitaliers. Or, dans une telle hypothèse, l’organisation de l’expertise médicale pourra être facilitée puisque le procureur de la République pourra directement requérir un médecin exerçant au sein dudit établissement. La personne vulnérable sera en outre généralement plus encline à accepter une telle expertise dans le cadre d’une hospitalisation.

 

Yann-Mickaël Serezo
Avocat en droit des majeurs protégés