En matière de protection des majeurs, une question revient fréquemment : le jugement ouvrant une mesure de protection (tutelle, curatelle, habilitation familiale, etc.) est-il immédiatement applicable, même en cas d’appel ?
La réponse est souvent méconnue : oui, le jugement s’applique immédiatement car il est en principe assorti de l’exécution provisoire.
Cette situation peut placer la personne protégée dans une position délicate pendant de très longs mois.
Il existe toutefois un recours spécifique et peu connu : la procédure devant le Premier Président de la Cour d’appel, permettant de demander en urgence la suspension de l’exécution provisoire.
1. Le principe : le jugement d’ouverture d’une mesure de protection est exécutoire de plein droit
A – Le jugement est exécutoire.
En principe, un jugement ouvrant une mesure de protection (curatelle, tutelle, habilitation familiale, etc.) est toujours assorti de l’exécution provisoire (de droit), c’est-à-dire qu’il s’applique immédiatement dès sa notification, même en cas d’appel (article 514 du Code de procédure civile).
Ainsi, en pratique, dès la notification du jugement ouvrant la mesure de protection :
- Le protecteur (curateur, tuteur, personne habilitée, mandataire spécial) doit entrer en fonction ;
- Les tiers doivent être prévenus, et notamment les établissements bancaires et financiers ;
- Le majeur protégé ne jouit plus de la même capacité juridique (certains actes ne peuvent plus être conclus seul) ;
- Le majeur protégé ne jouit plus de la même capacité financière (dans certains cas, retrait du chéquier, modification de la carte bancaire, mise en place de plafonds de paiement et de retrait, etc.).
Cette solution peut se comprendre : si une personne est vulnérable, il faut la protéger immédiatement et ne pas attendre la décision d’appel, qui peut intervenir bien plus tard.
B – Le jugement reste exécutoire même en cas d’appel.
En droit des majeurs protégés, et contrairement à d’autres matières juridiques, l’appel n’a pas d’effet suspensif.
Ainsi, même si un appel est interjeté (nécessité de la mesure, nature de la mesure, intensité du régime de protection, choix du protecteur, etc.), le jugement continue à s’appliquer jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel.
Or, généralement, l’arrêt de la Cour d’appel intervient une année après le premier jugement (du Tribunal de proximité ou du Tribunal judiciaire).
Cela signifie donc que pendant cette période, la liberté du majeur protégé peut être sensiblement restreinte. Et cette restriction peut avoir d’importantes conséquences :
- Atteinte au patrimoine (le protecteur prenant généralement les principales décisions financières) ;
- Atteinte à l’intégrité corporelle (dans certains cas, lorsque le jugement prévoit une représentation concernant des décisions personnelles) ;
- Effets psychologiques (la mesure pouvant être vue comme une dépossession, une atteinte à la dignité, etc.).
Dans certains cas, dans le cadre d’un conflit familial, le requérant peut également saisir le juge des contentieux de la protection d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection sans mentionner l’existence d’un conflit et l’identité des proches du majeur protégé. Le requérant est alors désigné en qualité de protecteur et pourrait alors agir pendant toute la durée de l’appel, alors qu’il n’aurait pas dû être désigné.
2. L’existence d’une solution : la procédure devant le Premier Président de la Cour d’appel pour suspendre l’exécution provisoire
A – Présentation de la procédure
Il s’agit d’une procédure en référé (c’est-à-dire, en urgence) devant le Premier Président de la Cour d’appel, qui permet de demander un arrêt de l’exécution provisoire du jugement ouvrant la mesure de protection (curatelle, tutelle, habilitation familiale, etc.) (article 524 du Code de procédure civile).
Cette procédure est indépendante de l’appel du jugement et vise uniquement à suspendre l’exécution provisoire (c’est-à-dire, l’application immédiate) du jugement.
Elle est particulièrement rapide : elle permet d’être entendu et d’obtenir une décision sur l’exécution provisoire dans les semaines qui suivent le jugement (généralement 2 à 6 semaines).
En cas de succès, le jugement est maintenu mais il ne prendra effet qu’en cas de confirmation par la Cour d’appel.
B – Les conditions pour suspendre l’exécution provisoire
Les principales conditions pour suspendre l’exécution provisoire sont les suivantes :
D’une part, l’exécution provisoire entraîne des conséquences manifestement excessives. Par exemple, lorsque le protecteur a pour projet de vendre des biens, de réaliser des donations, de faire intégrer le majeur protégé dans un EHPAD, etc.
D’autre part, les moyens invoqués dans l’appel au fond paraissent sérieux. Il faut ici démontrer que le premier jugement est vraisemblablement contestable. Par exemple, si le majeur protégé n’a pas été entendu alors qu’il est en mesure de l’être, si un conflit familial a été occulté, etc.
Dans ce cadre, la fourniture d’un certificat médical circonstancié contredisant le certificat sur lequel le juge s’est fondé pourrait être un solide argument. Il arrive en effet, notamment dans le cadre d’un signalement au Procureur de la République, que le certificat médical circonstancié soit daté et non conforme à la réalité.
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En conclusion
En droit des majeurs protégés, la procédure devant le Premier Président de la Cour d’appel est peu fréquente.
Au regard des enjeux, notamment sur le patrimoine et la santé du majeur protégé, elle peut toutefois être parfois salvatrice.
Il faut donc agir très rapidement. L’assistance d’un avocat en droit des majeurs protégés peut alors être très bénéfique, car il pourra analyser le jugement, identifier les moyens sérieux d’appel, identifier les risques de conséquences excessives, rédiger l’assignation ou la requête et plaider devant la juridiction du Premier Président de la Cour d’appel.
| En bref :
– Faire appel d’un jugement ouvrant une mesure de protection ne suspend pas la mesure. – Il est possible de suspendre l’exécution provisoire de la mesure en saisissant le Premier Président de la Cour d’appel. – Il faut convaincre le Premier Président de l’existence de moyens sérieux contre le jugement et de conséquences manifestement excessives. – Pourront notamment être utilisés de nouveaux éléments médicaux, des informations sur le contexte familial, l’existence de conflits d’intérêts entre le protecteur et le majeur protégé, l’apparition d’un conflit familial, etc. |
Yann-Mickaël Serezo
Avocat en droit des majeurs protégés (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, habilitation familiale, etc.)


