Droit des majeurs protégésL’assurance-vie du majeur protégé : le guide pratique

26 septembre 2025

L’assurance-vie fait partie des placements préférés des français : plus d’un français sur quatre en détient au moins une, pour un total de près de 54 millions de contrats actuellement ouverts !

Si autant de français y ont recours, c’est parce que ce placement permet d’épargner, de faire fructifier son capital et de le transmettre dans des conditions fiscalement avantageuses.

Mais lorsqu’une assurance-vie est détenue par un majeur protégé, c’est-à-dire une personne qui fait l’objet d’une mesure de protection (curatelle simple, curatelle renforcée, tutelle, habilitation familiale, mandat de protection future), que se passe-t-il ?

En pratique, les proches du majeur protégé se heurtent vite à des questions très concrètes :

  • Peut-on ouvrir une assurance-vie pour un majeur protégé ?
  • En cas de besoin de trésorerie, quelles démarches suivre pour effectuer un rachat partiel ou total ?
  • Comment fonctionne la clause bénéficiaire lorsqu’il y a un majeur protégé ?
  • Faut-il demander l’autorisation du juge des tutelles ?

L’objectif de ce guide pratique est de répondre à toutes ces interrogations, afin d’anticiper et sécuriser les démarches relatives à l’assurance-vie du majeur protégé.

 

I – L’ouverture d’une assurance-vie pour un majeur protégé

Les règles diffèrent selon la mesure de protection ouverte à l’égard du majeur protégé (assistance ou représentation).

En tutelle, le Code des assurances précise que l’ouverture d’une assurance-vie ne peut être accompli qu’avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué (article L. 132-4-1).

En curatelle, le Code des assurances précise que l’ouverture d’une assurance-vie ne nécessite que l’assistance du curateur (article L. 132-4-1).

En habilitation familiale générale, nous déduisons du Code civil que la personne habilitée peut ouvrir une assurance-vie pour le majeur protégé sans autorisation du juge des tutelles.

Enfin, dans le cadre d’un mandat de protection future, la solution dépend du type de mandat :

  • S’il est établi sous seing privé ou contresigné par avocat, le mandataire doit obtenir l’autorisation du juge des tutelles pour ouvrir une assurance-vie pour le majeur protégé (article 493 du Code civil) ;
  • S’il est notarié, le mandataire peut agir seul, sans avoir à recueillir une telle autorisation (article 490 du Code civil).

 

 

II – Le rachat d’une assurance-vie d’un majeur protégé

Encore une fois, les règles diffèrent selon la mesure de protection ouverte à l’égard du majeur protégé.

En tutelle, le Code des assurances précise que le rachat partiel ou total d’une assurance-vie doit être autorisé par le juge des tutelles ou le conseil de famille s’il existe (article L. 132-4-1).

En curatelle, le Code des assurances précise que le rachat partiel ou total d’une assurance-vie se fait uniquement avec l’assistance du curateur (article L. 132-4-1).

En habilitation familiale générale, la personne habilitée peut procéder à un rachat partiel ou total d’une assurance-vie pour le majeur protégé sans autorisation du juge des tutelles.

Enfin, dans le cadre d’un mandat de protection future :

  • Si le mandat est notarié, le mandataire peut procéder seul au rachat partiel ou total de l’assurance-vie ;
  • Si le mandat est établi sous seing privé ou contresigné par avocat, le mandataire doit préalablement obtenir l’autorisation du juge des tutelles.

 

III – La modification de la clause bénéficiaire de l’assurance-vie du majeur protégé

Encore une fois, les règles diffèrent selon l’intensité du régime de protection ouvert à l’égard du majeur protégé (assistance ou représentation).

En tutelle, le Code des assurances précise que la désignation ou la substitution du bénéficiaire doit être autorisé par le juge des tutelles ou le conseil de famille s’il existe (article L. 132-4-1).

En curatelle, le Code des assurances prévoit que la désignation ou la substitution du bénéficiaire requiert l’assistance du curateur (article L. 132-4-1).

En habilitation familiale générale, selon plusieurs Tribunaux, la personne habilitée peut désigner, substituer ou révoquer un bénéficiaire d’assurance vie librement, sans autorisation du juge des tutelles, sauf s’il a un intérêt dans cette désignation (par exemple, lorsque la personne habilitée souhaite désigner en tant que bénéficiaire sa propre personne ou un proche à elle, comme son enfant).

NB : Certains professionnels considèrent qu’un tel acte nécessite l’autorisation du juge des tutelles car il s’agit d’un acte à titre gratuit.

Enfin, dans le cadre d’un mandat de protection future :

  • Si le mandat est notarié, il semble que le mandataire puisse modifier seul la clause bénéficiaire de l’assurance-vie (mais de la même manière que pour l’habilitation familiale générale, certains professionnels estiment que l’autorisation du juge des tutelles est nécessaire) ;
  • Si le mandat est établi sous seing privé ou contresigné par avocat, le mandataire doit préalablement obtenir l’autorisation du juge des tutelles.

Ces règles valent à condition qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt entre le protecteur (tuteur, curateur, personne habilitée, mandataire) et le majeur protégé. S’il existe un conflit d’intérêt entre ces derniers, alors la saisine du juge des tutelles sera généralement obligatoire (soit pour obtenir une autorisation exceptionnelle, soit pour désigner un tiers qui réalisera l’acte en question).

 

IV – Les bonnes pratiques en cas de saisine obligatoire du juge des tutelles

 

  1. Préparer une requête complète et claire:

Le juge attend de la transparence. Plus le dossier est précis, plus la décision est facile à prendre.

Selon le cas, il peut donc être pertinent de fournir :

  • Le contrat d’assurance-vie ;
  • Le dernier relevé de situation ;
  • Un budget détaillé des ressources et dépenses du majeur protégé (patrimoine immobilier, patrimoine mobilier, revenus, charges) ;
  • La justification du besoin (factures médicales, devis, quittances d’EHPAD, dettes urgentes, etc.) ;
  • Le montant exact du rachat ou l’explication de la modification souhaitée ;

NB : Le critère principalement pris en compte par le juge des tutelles est l’intérêt du majeur protégé. Il convient donc d’expliquer en quoi l’opération envisagée est conforme à cet intérêt.

  1. Anticiper les délais.

Le délai pour obtenir une réponse du Tribunal varie selon le Tribunal compétent. Parfois, ce délai peut être relativement long (4-6 mois). Il est donc préférable de s’y prendre à l’avance, notamment lorsqu’il existe un besoin de trésorerie et qu’il s’agit d’obtenir l’autorisation de procéder à un rachat partiel ou total d’une assurance-vie.

Afin de prendre en compte ces délais, dans le cadre d’une demande de rachat d’assurance-vie, il peut être envisagé de demander au juge des tutelles l’autorisation d’effectuer un rachat périodique (trimestriel, semestriel, annuel, etc.).

À défaut, le requérant s’expose à un allongement inutile de la procédure (soit avec la multiplication d’échanges avec le juge, soit avec le rejet de la requête et la nécessité d’interjeter appel).

  1. Anticiper les conflits d’intérêts.

En droit des majeurs protégés, le conflit d’intérêt est généralement apprécié largement par les juges des tutelles.

Ainsi, si le protecteur est le bénéficiaire de l’assurance-vie, ou s’il s’agit d’un membre de sa propre famille (par exemple, son enfant), alors il faut le signaler au juge des tutelles.

Selon les cas, le juge des tutelles pourra :

  • Autoriser exceptionnellement le protecteur à réaliser l’acte, malgré le conflit d’intérêt ;
  • Désigner un tiers, spécifiquement chargé de réaliser l’acte envisagé au nom du majeur protégé.

 

Yann-Mickaël Serezo
Avocat en droit des majeurs protégés (tutellecuratellesauvegarde de justice, habilitation familiale, etc.)